Y a-t-il trop de patrons de couture ?
L’été dernier, sur le forum de Threads & Needles, un sujet-fleuve s’est créé au milieu de la torpeur des vacances, réveillant le forum par un sujet polémico-philosophique : « Est-ce qu’il n’y a pas trop de patrons ? » J’ai eu envie de réagir, mais il y a tellement de réponses, qu’y ajouter sur le sujet là-bas m’a paru inutile. Mais le flot de participations indique bien que quelque chose couve dans la couturosphère…
Oui, les patrons et les designers de patrons français et indépendants poussent comme des champignons. Oui, il est devenu, contrairement à il y a quelques années, impossible de suivre l’ensemble de la production en la matière, ou de nommer toutes les marques ne serait-ce que françaises, sans en oublier. Oui également, toutes ne brillent pas forcément par leur originalité en termes de coupes ou d’univers. Il y a une espèce de consensus « robe ou blouse à volants un peu large, dans un tissu mode et féminin, façon Les Petits Hauts » un peu fatigant à la longue.
Mais comment définir ce « trop » ? Trop, c’est quand on ne peut plus suivre, cf paragraphe précédent ? Trop, c’est quand une marque fait faillite car il y a « trop » de concurrents ? Et puis, à bien y réfléchir, Burda à lui tout seul déverse des dizaines (centaines ?) de modèles chaque année, à l’indifférence générale, comme ses copains du Big 4.
Le problème il me semble, a l’air de venir du traitement marketing de toutes ces sorties et de notre réaction face à celui-ci. Auparavant, tout nouveau patron était un événement. Souvenons-nous de l’arrivée tonitruante de Deer&Doe. Maintenant, il n’y a plus assez de place dans nos cerveaux pour que cela arrive.
Alors les marques doivent rivaliser d’ingéniosité : mettre en place des collections à la manière du prêt à porter (ironie quand tu nous tiens, alors que la couture se présente comme la manière d’échapper au marketing ?), collaborer avec des comptes Instagram influents à la limite du publi-communiqué, soigner le packaging au point d’en devenir luxueux, faire du teasing dans tous les sens… D’où un sentiment d’étouffement, de perte de liberté et de naïveté. De l’échange entre copines virtuelles (du moins en apparence) des débuts, on passe à un vrai marché juteux avec ses codes, ses règles et son positionnement, ou chacun(e) veut avoir sa part du gâteau. Et comment ne pas les comprendre ?
La question Instagram
Comme Mathilde en parle très bien sur ce billet , nous nous laissons peut-être trop influencer par Instagram, la machine à procrastination, à envie, voire à jalousie aussi face à ces miroirs déformants de vies idéales… La machine à faire complexer.
On dit que la créativité s’épanouit dans l’ennui : or avec les téléphones, c’est tentant, presque compulsif de combler tous les moments vides, qui auraient été la source de notre inspiration en temps normal. Instagram remplit à merveille ce rôle en nous proposant en permanence des mini impulsions de bonheur. De plus en plus de comptes présentent quantité de réalisations, avec photo quasi professionnelles et cadence effrénée au programme. Un coup dur pour celles qui, comme moi, peuvent mettre des semaines à finir un projet.
Même pour celles et ceux qui possèdent ces comptes, le risque est grand de perdre son identité en se mettant à ce qui « marche », ce qui est « marketable », en se fixant des objectifs de régularité, ce qui les rapprochera de l’objectif ultime, devenir une influenceuse. Là encore, on perd le bénéfice de la lenteur, du choix réfléchi, du temps d’apprentissage, des essais et erreurs. C’est peut-être un début d’explication au fait que les patrons récents d’indépendants sont souvent très rapides et simples : il n’y a plus la place pour le doute, pour l’ajustement, pour la patience. Un modèle doit tomber vite et bien, pour faire place au prochain. Combien de fois lit-on « Le modèle tombe parfaitement, aucun ajustement à faire c’était parfait » ? Est-ce bien possible, honnêtement ? On n’entend généralement plus parler du vêtement une fois cousu et posté par toutes, commenté et relégué aux rang de vieillerie passée de mode.
Arrêtons de laisser les goûts des autres guider le nôtre.
Il est très valorisant de se montrer sur les réseaux parée de ses beaux atours faits main, et de recevoir louanges et compliments, l’intérêt des designers de patrons et les propositions des vendeurs de tissu les plus en vogue. De se faire un nom, d’être reconnue pour son style et son goût en termes d’associations. Il y a rien de mal à cela, un peu de pommade à l’estime de soi ne faisant pas de mal. Mais l’on peut être amené à perdre un peu son esprit, son univers, en suivant simplement les tendances, et je crois que c’est la sensation qui domine en ce moment.
Y a-t-il trop de patrons ? Je pense que la question est mal posée. Demander cela, c’est vouloir avoir les yeux partout, tout coudre, et surtout, ne rien « louper », comme si c’était une course. A chacun(e) d’entre nous de picorer ce qui lui plaît et correspond. Arrêtons de vouloir suivre autre chose que notre propre chemin. Arrêtons de laisser les goûts des autres guider le nôtre. Laissons tomber les phénomènes de mode, de it-patron. Revenons à la source de ce qui était à la base une passion : l’envie de créer, faire avec que qu’on a, la surprise du résultat, la découverte d’autres sphères chez les autres couturières-créatrices… C’est tellement plus beau !
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